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Eva

2023

Eva a grandit à Tahiti, en ville. Mannequin, influenceuse locale c’est son city-side. Pourtant il y a quatre ans, elle est partie vivre dans la forêt avec sa mère. Ensemble, elles ont construit un lieu autonome en énergie, eau et électricité et, parfois, quand elles en ont envie, elles l’ouvrent au public.

« J’ai toujours aimé me mettre hors de ma zone de confort et avoir à me débrouiller.» Quand Eva emménage chez sa mère, il y a quatre ans, il n’y a pas d’eau courante « On doit porter des bassines depuis la rivière pour tirer la chasse d’eau », pas d’électricité à part un groupe électrogène allumé seulement quelques heures par jour et elles cultivent leurs légumes. A l’époque de ses grands-parents, les tâches étaient réparties : la pêche pour le grand-père, le jardin pour sa mère et les enfants pour sa grand mère. Aujourd’hui, une pompe à eau et des panneaux solaires ont été installés. Eva passe toujours énormément de temps au jardin ou à la rivière. Elle sent passer l’eau entre ses doigts, nourrit sa peau avec du lait de coco, sent les odeurs. Elle est toujours pieds nus. C’est le rythme qu’elle aime là bas.. En plus de la nature, elle est consciente qu’elle a besoin des autres, de connexion humaine. On en a tous besoin finalement. C’est pour cela qu’elle a voulu ouvrir leur maison au public et en faire un gîte: le NIU Shack. « NIU ça vient de Nature Inspires Us, c’est là que je trouve ma créativité » Faire ce cadeau à sa mère et lui permettre de transmettre ses connaissances de la forêt et de la vie en autonomie « Quand on a des richesses en soi, c’est dommage de les garder pour soi » Alors maintenant, en rentrant de la rivière, elle va partager avec les clients du shack, des cours de yoga ou des plats vegan que sa mère imagine avec les produits du jardin.

Je me demande si c’est une vie dans laquelle elle se voit dans le futur. « J’ai envie de cette autonomie, être moins dépendante des magasins. Pouvoir continuer à avoir des produits de qualité. » Une question de bien-être, l’assurance de maintenir une haute qualité de vie. Ok je comprends mais Eva, qu’est-ce qui met des paillettes dans tes yeux au quotidien ?

« Bouger. Aller en forêt, être debout, nager dans le lagon, c’est là que je me sens vraiment vivante » Je mets un peu de temps à comprendre. J’ai l’impression que ça manque un peu d’adrénaline tout ça. « C’est tout ce qu’il te faut? » je pense. Et la fête, l’aventure, le fun ? Est-ce que la ville te manque ? C’est vrai qu’Eva est aussi citadine. Elle aime la ville, la modernité, la technologie. Formée au marketing, elle gère ses réseaux, fait des partenariats avec des marques. Et elle ne veut pas totalement s’en défaire mais elle sent que la nature lui apporte une source féconde d’imagination qui ne se décrit pas. « Être là, se contenter de vivre et pas vivre pour travailler. » Je réalise qu’elle considère que ses heures à la rivière et au potager ne sont pas vraiment du travail, plutôt une hygiène de vie.

Pour ce qui est de la fête, de l’aventure, nos visions se séparent. Je m’imagine voguer à travers des océans avec une bouteille de rhum dans une main et la barre de Venture dans l’autre, rencontrer d’autres pirates dans les ports et faire des concours de salto en haut du mat. Pour Eva, il est question de lâcher prise, de connexion. « Le plus important pour moi c’est l’authenticité et le partage » Une quête de ce qui est vrai, pur comme l’eau qui coule entre les arbres. Loin des fantasmes d’aventures racontées dans les livres, Eva écoute les murmures de l’univers. Elle prend ses décisions en écoutant ce qui la prend aux tripes et ça la fait se sentir vivante. « Si je devais résumer ma vie, c’est une succession de choix inspirés de mes passions et de mes émotions ». Comme quand elle refuse un CDI pour partir à Hawaii et décider trois mois plus tard de lancer son projet dans la forêt. Je me sens un peu idiote d’avoir une vision aussi fermée de l’aventure. C’est elle qui a raison, l’aventure c’est peut être juste ce qu’on a au fond de nous et c’est là l’adrénaline, la vraie, celle qui vient du courage de suivre sa voie.

Alors dans la cool life, il se passe quoi si on cherche cette vérité. Plutôt que d’acheter au magasin notre bonheur, « Bouger » comme dit Eva. Organiser son temps autour de la nature et travailler pour gagner de l’argent quand on a des choses à payer en particulier. Eva me liste les courses: un forfait téléphonique, la voiture et parfois quelques déplacements à la ville ou à l’étranger. Leur hygiène de vie leur permet une santé parfaite et elles vivent de leur passion.

En essayant de transposer ça à Marseille, les démons du vieux monde dansent dans ma tête. Peut être que c’est utopique? impossible? Et le chauffage ? Et le service public ? Et la retraite ? Finalement je ne suis pas sûre que ce soit totalement incompatible avec la vie d’Eva et de sa mère. Elles créent peu de valeur économique, mais elles ont moins de besoins : elles se déplacent à pied la plupart du temps, elles ont moins besoin de routes car elles ont le temps de se déplacer à pied et elles s’occupent de transmettre leurs connaissances. Alors si on parle de valeur pour une société, oui, je crois qu’elles en apportent.

Donc à Marseille finalement, on pourrait imaginer une ville piétonne, presque entièrement végétalisée. On aurait des chemins de terres à travers des arbustes, à l’ombre de pins. Avec le temps, on laisserait leurs racines trouer la chaussée. On laisserait quelques routes pour les camions de livraison. On travaillerait à mi-temps, alors on aurait le temps. Le temps d’aider les plus vieux à enjamber les racines, le temps d’aller à la fontaine pour chercher son eau potable, et de papoter avec nos voisins pendant que les bouteilles se remplissent. Pendant notre temps libre, bien plus important qu’avant, on irait se balader à vélo, aller à la mer, se faire un gommage avec le sable et sentir le soleil charger sa peau en vitamines. On irait en vélo parce qu’on aurait du temps, le réparer soi-même, parce que c’est cool d’apprendre à faire des choses avec ses mains. « Bouger » et se sentir vivant.

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